Inde

Projet Inde (Février-Juin 2014)

1. Mumbaï (Bombay) : Déclin d’une civilisation ou naissance de l’Homme Nouveau : le « Génie Adaptatum-Extremum »

(…) Pourquoi l’Inde attire-t’-elle tant les occidentaux ? Aurait-elle cette vertu de nous révéler quel qu’autres perles, autres briques des composants de notre « humanité » ? Ou nous rend-elle simplement « re-visitable » tous ces wagonnets de sensations précieuses et d’expériences sensibles des extrêmes que nous avons égaré dans l’aseptisation, la sur-organisation et réglementation de nos vies européennes ? Nos vies et nos regards sont-ils pleins de trous, de manques, serions-nous des amputés en quête de soins d’âme, pour venir comme des mouches se coller à ces milliers d’Ashram, en quête des mouvements de Yogis revigorifiants, de prières, de pensées purifiantes, de méditations fortifiantes, sommes-nous devenus des sclérosés de nos caissons de résonnance, pathologiquement atteints de la phobie du « risque zéro » en tout, doux et asphyxiant élixir ? Les indiens sont-ils plus libres que nous autres d’ailleurs ? Et si spiritualité il y a, de quoi se compose cette étrange mélodie ?

En Inde, et plus précisément à Mumbaï (Bombay), la première serrure du pays, (celle qui trouble plus que tout, par laquelle il faut invariablement se faufiler, est celle du « lot, lot of people », comme le dit Léo. Sauter à pied joint dans la masse des masses ; la population au-dessus, au-delà, sans fin, qui ne se termine pas, jamais,  inquantifiable, un mot : Surpopulation.

Transposé sur Bombay, cette cité nous plonge dans un incroyable voyage. Enfermés dans notre cockpit du rickshaw (mototaxi triporteur), nous sommes comme la tête de la caméra mobile, dans sa séance d’endoscopie, plongé dans l’Anus Mundi de la mégalopole. Car Bombay est à la fois un cloaque, et un monde supra-moderne, mondialisé, avec des architectures futuristes, où se croisent aux mêmes endroits, aux mêmes instants : TOUT. Tout ce qui est inimaginable est réel, concret, incarné et là, devant nos yeux. Du pire au plus élégant, au plus ravissant, au plus fin, au plus abjecte et méprisant. Un rapport de maître à serviteur assez choquant, à la puanteur, aux parfums des épices extraordinaires, à la cuisine tellement bonne, à l’étonnement rieur des indiens de rencontrer une famille de blancs dans leurs quartiers populaires d’Andheri East, au milieu de la communauté des Sikhs. Beaucoup d’aide et une énorme hospitalité.

Que voir et comment voir chaque jour dans la réalité de l’extrême pauvreté ? Deux, trois, quatre dizaines d’Euros par mois. Ces milliers d’êtres condamnés à l’oubli ? Ils vivent dans notre présent et futur mais scotchés dans les pages allant de l’ère des Pharaons, en passant par Jésus-Christ de Nazareth, les cheminements de Siddhârta au 21ème siècle de la « Grande Encyclopédie ». Tout ça à la fois, au même instant, maintenant. Ils sont étiquetés directement pour la transparence, la poussière et la crasse, au ciel étoilé pour toiture. Ce sont les nénuphars sans tige qui flottent et dérivent sur le fleuve de l’indifférence de l’an 2014 et plus.

Ils vivent sur la rue, le boulevard. Les cabanons de fortune s’accrochent au bitume de toutes leurs serres. Ces espaces de 10 m2, où l’on loge à 8-10 personnes, avec cuisine et atelier compris, le nez à un mètre des embouteillages constants des sorties des semi-autoroute à six voies qui traversent la ville.

L’énorme terrain de l’aéroport de Bombay se trouve au milieu de la ville. Les bidonvilles y dégoulinent de partout. La première impression sur la ville, lorsqu’on survole à 50m du sol pendant de longues minutes ces innombrables cabanes, est d’atterrir brutalement dans une ruche.

12 à 20 millions d’habitants (selon l’interprétation du cadastre), dont la moitié en slum.

Dans ce bestiaire humain, tous les excréments et déchets sont brassés, déplacés, rouverts, triés, séchés sous nos yeux, revendus, regroupés, au milieu de tous les piétons par des femmes que d’ancestrales croyances condamnent à se purifier jusqu’à la nuit des temps, afin de se racheter et purifier leur âmes qui auraient été ternies par de lourdes et condamnables actions dans leur vie passées. Vivre à Mumbaï pour purifier son karma dans la merde.

Et vivre à Mumbaï dans la ville qui flambe, le New-York indien, la ville ou tout vibre d’une énergie qui construit TOUT. A mille à l’heure. L’argent y a même devancé le temps. A Mumbaï, et ailleurs les architectes, les ingénieurs et les vendeurs de ciment sont devenus les rois de l’Inde. Ils sont nombreux.

Laissons nos vielles imageries indiennes de 30 ans, des babas et du New Age là où elles sont, car Mumbaï est déjà un fer de lance du Nouveau Monde.

Au Laos les fortunés se construisent de très grosses maisons au milieux des prés, comme des mairies d’une ville de 300’000 habitants, ils y vivent pourtant à la traditionnelle, tous dans la même pièce, et le reste de l’espace reste vide, juste-là pour la parure. A Mumbaï on s’en inspire mais pour faire mieux. Le businessman millionnaire Mukesh Ambani s’est fait construire son gratte-ciel personnel pour sa petite famille ; à cinq dans un « 27 étages » à 1,5 milliard de dollars. Pour ce prix il aurait pu quasiment reloger les délogés de toute la ville dans des habitations inventives et décentes de type argentines, avec petit panneau solaire pour l’électricité et toilette incluse.

Dans le Bombay du centre, la classe moyenne aisée et les nouveaux supras sont suspendus au plafond ; du 10ème au 30ème étage des buildings, l’air y est plus clair, le soleil y réapparait, et les piscines d’altitudes de luxe sont monnaie courante.

Au pied des tours il y a toute la grouille, une vie extraordinaire de marchands, on trouve l’écorceur de muscade, le vendeur de boulons qui se masse les doigts dans une bassine d’aimants et de visses, l’aiguiseur de couteau sur son vélo à l’arrêt. Echoppes, marchés, rickshaws et taxis par milliers qui puent et nous hurlent une partition de klaxons ininterrompus dans les tympans. On enjambe la chiure de partout, véritable fertilisant de vie. On dort dans des tuyaux de ciments, pas encore enfouis sous terre, pour le nouveau drainage du quartier. On s’endort à même le sol comme une crêpe tombée de la poêle ; dans le trafic, sur le fin muret de 30cm de largeur de séparation des 6 voies, sur les chantiers de l’autoroute, par grappe de 20 ouvriers, au milieu des vapeurs chaudes du goudron, en attendant son service de nuit. On dort dans les rickshaws, devant les gares, dans les gravas, et la chaleur aidant, on dort partout…sauf dans un lit.

On croise des vaches égarées, maigres et le ventre gonflé comme des biafrais vivant de sous et malnutrition. Elles se bourrent le ventre d’ordures et de plastique. Parfois on les nourrit avec des restes des restaurants, qu’on leur donne dans leur écuelle, un peu comme des petits chiens domestiques.

Plus loin des fermes à 600-800 vaches apparaissent au milieu du trafic et des barres d’immeubles ; tout est possible ! Est-on dans une grande étable à Mumbaï, ou bien les fermes ont-elles été englouties dans la ville ? A 17h la population vient faire la queue pour chercher du lait frais dans des jarres, entre les camions puants, et la cacophonie. Les bouses sont récoltées et directement séchées, sur des murets pour du combustible.

Des corps « hommes-de-papier », plus fin que fins, sont pliés comme des feuilles, vivant sur un 1/4 de mètre carré, broyant des noix, ou bricolant quelque chose. Parfois ils sont suspendus dans des sortes d’étagères, de 40cm de profondeur, avec tout leur atelier au-dessus de leur tête, entre leur jambe. En tailleur toute la journée, laissant jouer leurs mains habiles avec du tissu, des boutons, des aiguilles, du métal, des graines, des épices, du tabac, des fleurs à coudre pour les rituels d’offrande. Parfois une jambe se relâche, et pend dans le vide quelques minutes comme un jambon séché.

Certaines vies sont comme des brindilles, deux-trois maïs grillés vendus sur deux-trois charbons fêlés.

Chercher ses œufs à l’épicerie, c’est entrer dans une échoppe ou 50 poules  suspendues dans un cagibis vous peignent les godasses de façon ininterrompue, c’est la patinoire à fientes sur le carrelage, et vraiment ça schlingue à mort. L’avantage bien sûr c’est qu’on peut se faire préparer le poulet de son choix en un coup de machette. Sur le fond du comptoir il y a un grand plateau en bois où les mouches s’encollent sur le sang encore glaireux, et une pyramide de centaines d’œufs, très belle, qui monte presque jusqu’au plafond.

Et lorsque les égouts sont bouchés, on dépèce le sol de quelques dalles, on crouille avec un sarcloir les 200kg de Cénovis que l’on dépose sur le trottoir pour qu’ils sèchent au soleil.

Mais la rue ce sont aussi les 1000 diverses « boulettes et galettes découverte » extraordinaires. En Europe il faut être cancéreux en face terminale, ou danseuse contemporaine pour se suffire de l’offre tristounette de la cuisine végétarienne, en Inde la majorité du milliard 250 millions sont « VEG », et les variations infinies des textures et parfums vous font tourner la tête.

A certains carrefours nous sommes assaillis par d’autres mendiants, femmes avec enfants dans les bras qui vous fixent droit dans les yeux pendant 40 secondes, un compère dont les membres sont pliés dans de bizarres postures, et dont certains segments ont été coupés. Il cogne au pare-brise arrière avec ses moignons. Ses yeux partent dans différentes directions. Le chauffeur me remonte la fenêtre, et je vois le conducteur du rickshaw voisin plié en quatre,…de rire.

Laisser passer les ondes d’angoisses dans le ventre…et puis elles s’envolent à nouveau…pareil pour les sensations de claustrophobie. Car au fond les « mumbaïens » sont assez calmes, et peu stressés, mais surtout affairés à ne pas perdre leur temps…et tout continue. Ce qui nous semble être du stress, ou de l’excitation, révèle en fait la densité inimaginable, et qui crée malgré elle un brouillage continu ; un saute-mouton perpétuel du cadre de l’image.

Dans le quartier Dhobi Gat, vers Mahalaxmi, se trouve le plus grand lavoir (à ciel ouvert) du pays. 5000 personnes y vivent et y 10’000 y travaillent. Leurs loges font à peine trois à cinq mètres carrés. Ces centaines d’énormes bassines, chacune contenant une autre teinte, se partagent le sol. Dans les airs sont suspendus les milliers de vêtements par texture, matière et couleur de toute la ville… peinture sublime.

Au tout début des années 90’ l’Inde vit un énorme boom avec la libéralisation du transport privé : la voiture, la moto. Mais la plupart des villes sont complètement prises de vitesse par le phénomène. Dans toutes les villes moyennes c’est le Guinness-book de la saturation. Et comme chaque gros village compte déjà un million d’habitants…

Tout tracé, aussi loufoque qu’il paraisse est possible en Inde. Il n’y a pas de droite ou gauche, il y a surtout un klaxon constant, …et on s’écarte devant plus gros que soi. On peut également rouler en marche arrière sur l’autoroute ou en contre-sens sur les boulevards. Etonnement il faut l’admettre, cette règle des fluides qui rendrait épileptique plus d’un confrère genevois, fonctionne plutôt bien en ville. La masse s’écoule par tous les interstices et ne stagne pas. C’est la loi de l’organicité.

Se frotter à cette vérité c’est aller prendre le train local, véritable battement de cœur de Mumbaï. Eprouver l’agglutinement, l’entassement organique. Quand il n’y a plus de place, tout se compresse et se déforme, et la place se trouve toujours. Les gens s’éjectent dans des cris à l’extérieur du wagon, puis c’est le reflux qui aspire à l’intérieur une nouvelle marée de passagers. Il n’y a pas de portes dans les trains, ça facilite quelques peu le va et viens, mais lorsqu’on roule il faut bien se tenir. Les jeunes téméraires sont cramponnés comme des geckos à l’extérieur du wagon… Les gens ne se touchent pas, mais s’entassent proprement les uns contre les autres. On s’écrase avec un sentiment du travail bien fait, du rangement réussi et efficace.

L’individu disparaît pour l’espèce, et naît le groupe infini, la masse.

Chaque personne n’est plus qu’un seul grain de poudre de résine sur l’archet du violon, chaque personne n’est plus qu’une goutte de sueur sur le clapet du si-mineur 3ème octave du clarinettiste-basse. Chaque personne n’est plus qu’un quart de poil de feutre de la baguette gauche du percussionniste. Mais nous faisons bien tous partie de la même œuvre symphonique.

Le vide n’existe pas à Mumbaï, le vide est rempli, rempli de désordre, c’est l’apologie du chaos, mais on ne s’en soucie pas trop, on l’accepte comme sa chemise, ou sa culotte trempée de sueur, et ça détend énormément.

On considère actuellement que la nouvelle classe moyenne indienne propulsée à seulement 10% de sa population, compte déjà 120 millions de personnes (= populations française et allemande réunies).

Le monde de demain sera indien, car dans l’obligation de s’en sortir pour ne pas crever d’un sang noir comme la majorité de leurs eaux déjà mortes, ils inventeront ici, à Mumbaï, au cœur de la machine à laver infernale, avec leurs centaines de milliers de techniciens, d’ingénieurs des plus performants de la planète le renouveau de l’or bleu, et du solaire. Car du soleil ils en ont à revendre…Ça sera un énorme pied de nez à tous leurs créateurs et prophètes réunis ; Brahma, Shiva, Ganesh, Mahomet, Jésus et Buddha.

Ou alors comme le prévoyait Hubert Reeves, la planète continuerait, mais…sans les indiens, et tant d’autres.

2. Regard croisé sur l’Education

Nous découvrons le monde de l’éducation à travers une tranche de femmes fortes,  filtrées par la mid-life-crisis. Ces quadras ou quinquas, pour certaines qui ont brutalement bifurqués de route, revenant à leur passion première ou redécouvrant du sens en dehors de la productivité hautement concurrentielle dans laquelle elles se sont laissées prendre, se regroupent sous forme d’équipes qui comprennent des sociologues, des éducateurs, des enseignants, d’arts plastiques et de mouvement, des danseurs, des musiciens, des profs d’art dramatique, des thérapeutes, des formateurs, des comptables et des professionnel du marketing (car on échappe pas au business en Inde), pour défendre des programmes sociaux, d’enseignement innovateurs, qui rompent définitivement avec le formalisme traditionnel très très rigide des habitudes indiennes (ou l’enfant est un peu considéré comme une boîte vide que l’on remplit de connaissances, qu’il recopie, apprend par cœur et recrache aux examens = enseignement transmissif).

Ces nouvelles pédagogies alternatives (qui s’apparenteraient avec ce que l’on connaît en Europe sous les appellations Montessori et Steiner) viennent actuellement d’Australie, beaucoup de Malaisie, et d’Inde, notamment impulsées déjà dans les années 60’ par le philosophe décapant Jiddu Krishnamurti.

En Suisse et France c’est le Département de l’Instruction Publique, de l’Education Nationale qui décide des différentes matières et programmes qui sont proposés aux élèves. En Inde, l’Etat propose une sorte de base plus ou moins austère, souvent emprunte de fonctionnements hiérarchiques impressionnants, parfois très théâtraux, comiques ou effrayants, selon le regard que l’on y porte. Puis selon les provinces, et les directeurs, il y a une marge de manœuvre possible pour innover. Même si cela reste invariablement lié aux portemonnaies des écoles de faire leurs courses aux programmes extérieurs, il y a des choses qui se tentent. Dans ce monde scolaire très fortement guidé par la recherche absolue d’excellence, les parents sont également mis à forte contribution financière et sacrifient souvent TOUT pour leurs progénitures. En retour les enfants paraissent être enfermés dans des heures interminables d’études à la maison. Le jeu et la décompression ont, paraît-il, peine à prendre place.

L’Académie Helen O’Grady avec laquelle nous collaborons et avons parcouru plus de 12’000 km en train et bus à travers le pays (sur ces deux premiers mois de tournée ; dans les provinces du Kerala, du Tamil Nadu, de Karnataka, de Maharastra, de Mumbaï, Navi Mumbaï et du Madhya Pradesh), travaille directement avec les enfants sur la notion des « 4C », paramètres d’avenir à leurs yeux et qui prennent tout leur sens dans cet univers encore pyramidal : Communication, Collaboration, Confiance et Créativité.

Car dans l’enseignement traditionnel les enfants sont drillés dès l’âge de quatre ans, et cela jusqu’à 16 ans, à vivre ou subir les grandes séries d’examens de fin d’année, où TOUT se joue en deux semaines. Tout se joue aux notes, et quelles notes…des « 5,9 ou des 19,5 » ne seront pas suffisants pour entrer dans de prétendues « bonnes formations » (car en Inde on entre déjà à l’âge de 15-16 ans dans les « pré-universités »). Les « 6 ou 20 » sont donc obligatoires si l’on désire poursuivre ses désirs. La pression est extrême, surtout de la part des parents, et le phénomène tabou des suicides de jeunes étudiants (comme le vivent les japonais) est bien réel. Ingénieurs, médecins, avocats et informaticiens font partie de l’archétype du rêve indien. Beaucoup s’en servent pour s’éclipser du pays en Australie, Nouvelle-Zélande, aux USA ou au Royaume-Uni.

En Inde 70% des élèves étudient dans des établissements gouvernementaux et 30% dans l’enseignement privé. Dans l’enseignement public les classes peuvent facilement grimper à 50-55 élèves/classe. Les écoles primaires sont souvent bourrées entre 1500 et 3000 élèves chacune. Et comme il manque encore cruellement de bâtiments, on fait deux services scolaires dans la journée, permettant ainsi à chacun de s’instruire. Mais à Mumbaï, 80% des enfants après 12 ans se déscolarisent, beaucoup partent travailler dans les rues ou les petits ateliers.

Dans les grandes villes bon nombre d’écoles ou d’universités publiques ou privées peuvent être tenues par une direction de « Pères », héritage d’une certaine culture chrétienne, même si la majorité des élèves sont hindouistes ou musulmans. Ces directeurs sont à la fois pédagogue, orateur, prédicateur à certaines heures de la journée, chef spirituel et chef administratif.

A Bengalore, à la prestigieuse « Christ University » nous en rencontrant un dans sa toge élégante de coton brillant blanc : il s’amuse tout en nous parlant, à aligner sur son PC dernier-cri, toutes les icones des caméras qui filment les cours en direct dans les classes… « Big Father is watching you ».

Entre le chef du département théâtre de l’université de Bengalore qui nous reçoit, et les diverses autres écoles, tenues entre autre par des Sœurs, les programmes créatifs d’expression théâtrale sont intégrés dans leur cursus non pas pour leur contenu, mais par affinité spirituelle entre le guru chrétien de notre chef de théâtre et le guru de l’ordre des Sœurs !

A Indore nous avons été invité à découvrir une école absolument incroyable ; la « G.D. Goenka Public School », véritable école du Futur, ceci dans un contexte à la fois magique et glaçant. Elle fait partie de ce nouveau concept de vie totale bulle « AC » (air conditioning) qui se répand fortement dans le pays. On ne sait pas si on entre dans une clinique privée de chirurgie esthétique, dont le médecin chef va être traqué pour ses penchants secrets pour l’eugénisme, un musée d’art contemporain, ou simplement une école. Un modernisme qui n’a rien à envier aux EPFL suisses de Lausanne et Zürich. Bâtiments architecturaux exceptionnels, avec des tombées de lumière entre les classes magnifiques. Toute leur pédagogie est basée sur l’interactif, dans des « ateliers-découverte», avec de multiples jeux, modules d’expériences tactiles, sonores, visuelles, même en math, physique, chimie et biologie. Marie était très impressionnée. Leur profs d’art sont au top et leur démos de danse Katak ou folklorique du Rajasthan, démos de musique traditionnelle indienne, de chant indien et d’art plastique étaient scotchantes.

Par le laboratoire d’informatique les élèves, dès le plus jeune âge, vont régulièrement interagir par vidéo-conférence sur monstre écran avec leurs futurs copains d’école du même genre, à Washington, Berlin, Dehli ou encore de Bordeaux.

Les classes comportent 25 élèves, et sont toutes équipées d’appareillage de projection high-tech. Dans les couloirs les ouvriers sont aux finitions, pour cette école qui accueillera ses premiers élèves dans une semaine. Dans les recoins du chantier plusieurs enfants de 8-10 ans travaillent à toutes les tâches de plâtrage, carrelage, ponçage. Je ne crois pas que ceux-ci fassent partie du lot des inscrits. A travers l’énorme baie vitrée, on voit dans le futur parc de l’école une vingtaine de cabanons de fortune en guise d’appartement pour les ouvriers. Nous nous retirons par les contrôles de sécurité « d’aéroport », prenons la route et ressortons de cette ville nouvelle, barricadée, totalement autonome dans son fonctionnement, comme une mini-nouvelle société avec ses commerces, restaurants, habitations, lieux de culture et d’éducation, qui tente de s’extraire par tout les moyens de la plaine brûlante et de ses concitoyens.

De notre côté, à travers les spectacles nous constatons que le public indien est le plus réservé et le plus pudique du voyage (adultes et enfants confondus).

Les élèves, dressés à la virgule, ne se présentent au premier abord que par des « Yes, Sir, Yes, Mum ». Ils nous fascinent par cet anti-chaos soudain, cet ordre absolu, résultante d’un dressage assidu ? Les frayeurs et les rires sont plus timorés, dans un autre registre que les hystéries sud-africaines, mais les confidences de remerciement que chacun vient nous livrer en solo, ou en petit groupe quand ils ne se sentent plus observés, sont bel et bien les plus touchantes de toutes.

La force de l’art, lorsque celui-ci est offert en dehors des « zones de confort » (comme le dénomment les indiens qui nous accueillent), est tout autre chose qu’un divertissement intellectuel ou conceptuel. C’est vécu  comme un événement. Un transfert pour assouvir sa soif de découvrir et de ressentir.

En Suisse, quelque chose de trop bien huilé, à la fois trop proche du dû, rend cette simplicité difficile.

Je ne peux plus m’imaginer inventer un nouveau spectacle sans qu’il ne s’adresse déjà, au-delà du bassin lémanique, aux indiens, aux laotiens, aux vietnamiens et cambodgiens pour ne citer que ceux-ci.

M. S.