Les trois-tiers temps du Costa Rica

Projet Costa Rica (Juillet 2014)

A) les multinationales fruitières :

L’histoire du Costa-Rica est une histoire symptomatique de l’Amérique latine. Une histoire de cupidité, une histoire d’ogre comme très souvent, qui a failli mettre à genoux et flinguer une terre sublime pour des générations. Mais un sursaut populaire, une fulgurance de conscience à la fin des années 1970 a permis d’éviter le pire.

Le Costa Rica, petit pays d’Amérique centrale, posé entre le Nicaragua et le Panama, de la taille de la Suisse (4,5 millions d’habitants), est encore dans les années 1850 qu’une énorme jungle primaire. 5% des terres sont à l’époque défrichées. Le pays s’ouvre sur deux océans; pacifique et atlantique (côte des Caraïbes). 1000km de côtes imprenables, plus belles les unes que les autres, avec la forêt comme une lave verte, qui dégouline des collines dans l’eau.

Pour développer le pays le Congrès avalide un projet fou ; construire une ligne de chemin de fer qui traversera la jungle et les volcans, pour relier le port de Puntarenas (côte pacifique) au port de Limon (côte atlantique). Les travaux sont titanesques pour vaincre la pieuvre verte et tout ce qui y grouille. Il faudra plus de trois décennies pour réaliser l’ouvrage, des milliers d’esclaves consumés dans les chantiers qui se stoppent régulièrement.

Vers 1875 un jeune ingénieur américain culotté (Keith), obtient l’autorisation de relancer l’ouvrage, et parvient avec l’apport de gros investissement et des dernières technologies de l’époque de concrétiser l’ouverture de la ligne ferroviaire. Mais surtout il obtient en « cadeau » en parallèle du chantier, le don et la gratuité d’exploitation par le Congrès costaricain de toutes les terres qui longent la voie, et ceci des deux côtés. Il en profite pour y planter pendant la réalisation de l’ouvrage des bananes (originaires d’Inde) pour pouvoir nourrir ses innombrables ouvriers, et s’aperçoit qu’elles poussent à merveille. Très vite il fonde la « United Fruit Company » qui lance rapidement les monocultures de bananes et ananas à travers le pays. La méthode est digne du grand esclavagisme.

Et l’on exporte à grande dose surtout vers les Etats-Unis, puis rapidement vers l’Europe. Les bénéfices sont à sens unique, pour les costaricains ils sont quasiment nuls. Se crée ainsi une des futures plus grandes multinationales fruitières du monde. Mais celle-ci est contrainte dans les années 40, au vu de sa politique humainement sauvage et sans scrupules de se dissoudre et de réapparaître sous d’autres noms comme « Chiquita », « Dole » et « Del Monte ». Les droits des ouvriers sont certes améliorés, mais à peine. Par ailleurs c’est le début de l’expérimentation des pesticides hyper agressifs, dont les effets sont accentués d’années en année. Les volumes déversés sont faramineux, et les législations nationales ont, comme partout en Amérique du sud, encore trop peu de poids pour obliger ces entreprises à respecter un soin clair pour les terres (découvrir l’univers des bananes avec un très bon ABE, sur la TSR : http://www.rts.ch/emissions/abe/1370527-banane-abe-teste-l-ethique.html). Comme récurrent, on fait ici ce que le ¼ du 1/5 ne serait pas toléré ailleurs. Radions donc à vie, sans gêne, ces trois rouleaux compresseurs de notre garde-manger.

Par ailleurs cette première moitié de 20ème siècle fait subir au pays un véritable pillage des grosses billes de bois exotique provenant des forêts primaires. On passe de 95% de forêt à la fin du 19ème s. à 22% (!) à la fin des années 1970. En 1978 un véritable cri  du cœur est lancé par certains parlementaires, et notamment le prix Nobel de la paix « Oscár Arias ». On réussit pour stopper l’hémorragie, à déclarer « Parcs nationaux » plus de 40% du territoire national. Une densité, variété de faune et de flore mondialement absolument exceptionnelle va enfin pouvoir être protégée et « réalimentée ». Parallèlement aux fruits, café, riz et huile de palme, l’éco-tourisme est un des gros revenu du pays.

Le pays se distingue également pour avoir renoncé dans les années 40 déjà, après une dernière guerre éclair de deux mois, au développement d’une armée. Ce choix a permis entre autres des investissements énormes dans l’éducation publique (plus de 25% du budget national), et dans la santé. C’est certainement le seul pays d’Amérique latine à avoir une éducation scolaire et universitaire publique de très bonne qualité, et surtout (en dehors des fournitures) gratuite. Le niveau de vie moyen est le plus élevé d’Amérique du sud, avec un salaire moyen d’environ 600 dollars/mois. Mais le pays reste socialement fragile. En ce moment il peine à absorber dans son fonctionnement les 800’000 nicaraguayens venus y chercher refuge à la suite des années de guerre (1975-1986). Cette frange représente 20% de la population, et vit pour beaucoup d’entre eux en bidonville.
Avec l’ONG « Fútbol por la vida » nous sommes allés donner plusieurs représentations dans ces quartiers en bordure de San Jose.

B) L’exubérance verte :

La grande merveille du pays est la forêt vierge, luxuriante, épaisse. C’est un milieu magique, où les cinq sens sont gonflés à bloc. Chaque forme, chaque ligne, chaque tache sombre peut se transformer instantanément en une chose qui bouge et qui vit. C’est une rencontre entre l’imaginaire et le réel très intense. Toutes nos peurs enfantines remontent à fleur de peau : manger-être mangé, étranglé, mordu, piqué, être avalé et digéré vivant. Rosine ne peut pas voir un serpent en peinture, Jean-Luc dort très mal après avoir découvert une grosse mygale sur la fenêtre. Léo, Théo et Félix font nettement moins les malins lorsque la pirogue s’approche dans un cul-de-sac d’un gros caïman. En marchant dans la forêt Félix n’a plus que le mot « venin » à la bouche. Il est subitement redevenu un petit agneau docile et tout inquiet (ce qui contraste pas mal avec le pré-ado extraverti-rugissant, obsédé par son premier poil à venir au pubis.)

Il n’y a pas de zoo au Costa Rica, la faune est partout libre, et plus les jours passent et plus vite l’œil et l’oreille repèrent les animaux. Un si petit pays avec une telle diversité des espèces est exceptionnel. C’est royal. Si vous avez des étudiants en biologie animale autour de vous, il faut absolument les convaincre de faire un échange d’une ou plusieurs années dans ce pays. Pourquoi s’obstiner à Valenciennes, Brest, Grenoble ou Bümplitz…alors qu’au passage on s’enfile l’Espagnol en plus ?

Tortues énormes de l’océan qui viennent pondre de nuit sur la plage leurs centaines d’oeufs, caïmans, crocodiles, toucans, aigles, martin-pêcheur, foulques de jungle, colibris, hérons, pélicans, singes hurleurs, singes « ouistiti », singes capuccino, paresseux, iguanes, grenouilles de toutes les couleurs, parfois venimeuses, mygales de 10cm de diamètre et bien poilues, serpents boas, pythons, gros, petits, dangereux, insectes, menthes religieuses, grillons géants, lézards, iguanes Jésus-Christ qui courent sur l’eau avec 20 enjambées à la seconde, coatis, phasmes, papillons, dauphins, baleines à bosse…juste-là, devant nous, sur nos têtes, sous nos pieds.

Dans la région du volcan Arenal, nous avons rencontré Victor, un passionné des reptiles. A sept ans il part faire la cueillette du café, avec son grand-père. Il repère une vipère à caféier dont il tombe amoureux. Il réussit à convaincre son grand-père de ne pas la tuer, mais plutôt de la ramener à la maison, comme « doudou » ! C’est le début d’un grand amour. Il devient avec les années un des grands spécialistes du pays réparateurs des serpents demi-morts. On l’appelle de partout pour dégager les habitations, les jardins, les lieux de tournage de films, les bâtiments publics des serpents. Il les bichonne et les relâche requinqués dans la nature. Une grande partie d’entre eux sont petits et très venimeux. Léo est fasciné, c’est le coup de cœur. Il choisit délicatement les bébés souris vivants qui seront sacrifiés. Victor les leur présente au bout d’une longue pince aux serpents. Une morsure violente, le souriceau gesticule pendant deux-cinq minutes et s’endort. Puis le reptile commence à l’avaler mécaniquement à l’aide de deux crochets qui tirent la proie vers l’intérieur.

Mais la passion n’est pas sans danger. Dernièrement Victor à été mordu dans l’ongle de l’index car il s’apprêtait à photographier une bête qu’il venait de nourrir avec son nouvel appareil qu’il ne maîtrisait pas encore…A l’hôpital deux personnes doivent recevoir des doses de sérum suite à des morsures. Lui ; 15 doses, un autre patient 30 doses car il a traîné avant d’arriver et le venin agit déjà fortement. Seulement au changement de personnel médical on se trompe sur qui est qui…Victor reçoit 30 doses au lieu de 15, et l’autre homme l’inverse. Le sérum est tellement puissant qu’il tombe malade pendant des mois, vertiges, perte de sensations de différents membres, vomissements continus…mais petit à petit il s’en sort. L’autre patient trois-quatre mois après son hospitalisation meurt des suites de la sous-dose reçue, car le venin a eu le temps de lui endommager des organes internes. On ne plaisante pas avec ces bestioles, mais les garçons sont invités quand ils le veulent à passer plusieurs mois, comme assistant s’ils le désirent, en sa présence !

C) la religion Surf :

Au Costa Rica les danseurs de l’écume, les vrais, se lèvent à l’aube. A 5h30 on farte sa planche, on s’enfile son « casado » : riz, flageolets, poulet et bananes plantains frites. Le muscle sec, corps élancé, bras pagayeur, mains en spatule, les cheveux forcément longs, et une barbe-ki-pik de huit jours. La démarche est celle d’un ressort-giraffeux.

De 6h à 8h du matin deux heures de sport-nature intensif, seul avec les éléments et les premières meilleures vagues de la journée, puis on part travailler avec son horaire aménagé. Entre 16h et 18h, juste avant le coucher du soleil, on s’enfile le 2ème volet avec la marée haute. C’est la démonstration; les vagues sont trop proches et trop puissantes pour les débutants qui sont assis sur la plage …et étudient.

Les vrais surfeurs à 22h sont déjà couchés.

Le Surf avec un grand « S » n’est pas un tic, ni un style-genre mais une philosophie de vie nous dit Fernando chez qui nous logeons, et qui nous parle de sa passion. En fait le surfeur, totalement adapté et réactif aux pluies, aux vents, éclairs, orages, marées et courants, est une espèce animale en plus dans cette jungle. Il est efficace, libre, féru de glisse et de couleurs. Le surf est son art martial quotidien.

Après cela il y a pour les fêtards l’autre monde surf, avec l’accent de los Estados Unidos, biceps en poire, revues papiers glacés, ½ Ray Ban, sable blanc, cocotiers, et tout le tra-la-la…

M. S.